« Les dirigeants français doivent chercher à faire des rencontres improbables »

Interview avec Philippe Le Roux, Président-fondateur de Key People et membre du Comité Exécutif de l’association Entreprise & Progrès.

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Interview avec Philippe Le Roux, Président-fondateur de Key People et membre du Comité Exécutif de l’association Entreprise & Progrès. Dans cet entretien, Philippe Le Roux livre ses réflexions autour de la redéfinition du rôle du dirigeant à l’ère du numérique en France.

Vous venez de publier avec Entreprise & Progrès l’ouvrage “Etre un leader à l’ère du numérique ?”. Pouvez-vous expliquer votre démarche ?

C’est la traduction d’une réflexion collective produite dans un chantier qui a mis à contribution une trentaine de dirigeants pendant un an.

Au cours de sept ateliers, les dirigeants réunis ont choisi de confronter leur comportement de manager et de stratège à la révolution digitale et ont accueilli autour d’eux des experts (philosophes, chercheurs, patrons) afin de se remettre en question, réfléchir aux nouveaux business modèles, s’ouvrir aux nouveaux modes d’organisation et de leadership. Le livre Etre un leader à l’ère du numérique est une synthèse originale de leurs conclusions et convictions.

 

« Le management se heurte aux nouvelles attentes de la génération Y qui n’a plus peur de remettre en cause la hiérarchie traditionnelle » Philippe Le Roux

 

Quelle était l’origine de cette réflexion ? Pourquoi pensez-vous que le digital redéfinit le rôle des dirigeants ?

Tout d’abord, nous partons du constat que la révolution digitale est derrière nous. Nous vivons avec ses conséquences qui représentent un véritable changement culturel.  Cette réflexion est également issue de mes vingt ans d’activités professionnelles. J’ai été très tôt convaincu que nous allions changer de paradigme avec le passage de l’âge industriel et commercial à la société de l’information. Aujourd’hui, tout le monde peut s’exprimer et être davantage acteur de sa vie, ce qui engendre une remise en cause des organisations pyramidales. Il en résulte une chute de l’autorité que nous avons d’abord constaté au sein de la famille, de l’école et qui arrive depuis quelques années dans les entreprises. Le management se heurte donc aux nouvelles attentes des jeunes de la génération Y qui n’ont plus peur de remettre en cause la hiérarchie traditionnelle. Face à ce constat, les dirigeants comprennent qu’il y a urgence à redéfinir leur rôle.

 

Quelles sont les principales conclusions de votre livre ?

A l’issue de 8 mois d’ateliers, à raison de 4h par semaine, nous avons fixé 5 convictions fortes pour que les dirigeants s’adaptent à ce changement de paradigme :

Faire de la transformation culturelle et managériale un projet d’entreprise global porté par le dirigeant en personne : il est le seul qui puisse impulser un mouvement remettant en question les modes de fonctionnements actuels. Cela implique d’accepter que les pouvoirs au sein de l’entreprise soient bouleversés, à commencer par les siens.

Investir dans l’innovation managériale et la transformation du leadership : l’alliance du dirigeant avec son DRH est l’un des facteurs clés de succès.

Déverticaliser les hiérarchies pour créer des systèmes plus circulaires et favoriser la créativité, la prise de risque et l’initiative à tous les échelons ; encourager une culture de l’expérimentation avec un droit à l’erreur apprenante.

Déployer de nouvelles façons de travailler : on entre dans l’ère du collaboratif et de l’intelligence collective. Les grandes idées ne viennent pas d’une seule personne, l’innovation est l’affaire de tous. L’instauration du travail coopératif en mode transversal doit faciliter la rapidité, l’agilité et l’esprit entrepreneurial.

Installer une nouvelle forme de légitimité qui n’est plus liée au poste mais à la capacité d’incarner un collectif au travers d’un leadership authentique et fédérateur autour d’une vision et de valeurs partagées.

 

« Les dirigeants français comprennent qu’il faut aussi investir dans l’innovation managériale » Philippe Le Roux

 

Qu’avez-vous retenu des ateliers que vous avez organisés en vue de la rédaction de cet ouvrage ?

Il n’existe bien évidemment pas de solution toute faite. C’est pourquoi il est nécessaire de réfléchir ensemble sur les organisations. Elles ont une influence considérable pour la création de valeur dans les entreprises.

Celles-ci consacrent beaucoup d’argent à la R&D dans les produits et services. Mais les dirigeants français comprennent maintenant qu’il faut aussi investir dans l’innovation managériale.

 

Quelle entreprise française peut-être considérée comme un modèle en matière de transformation culturelle ?

L’exemple d’Accor avec Sébastien Bazin est particulièrement marquant. Alors que l’entreprise fait face à une concurrence accrue avec des nouveaux acteurs comme TripAdvisor ou Airbnb, Sébastien Bazin a choisi de faire le pari d’investir pour développer l’intelligence collective. Les open-spaces et les tailles de bureau similaires sont ainsi devenus la règle, y compris pour lui-même. Le travail collaboratif a été encouragé pour libérer la parole et pour que chacun participe à l’innovation. Cela passe également par l’intégration de start-up pour générer des idées neuves.

Mais ce n’est évidemment pas la seule entreprise à effectuer cette transformation. Axa, Michelin ou encore Elior, un acteur de la restauration collective, font également partie des pionniers en France.

 

Ces enseignements s’appliquent-ils à d’autres organisations que des entreprises ?

Bien sûr ! L’innovation managériale ne doit pas se limiter aux entreprises. L’Université catholique de Lille est un exemple extraordinaire. Sous l’impulsion de son président-recteur Pierre Giorgini, l’université a transformé les façons d’étudier en développant des cours inversés. Avec cette nouvelle méthode pédagogique, l’enseignant accompagne désormais les étudiants qui travaillent de manière autonome sur un sujet, à la manière d’un workshop. Par ailleurs, l’université prend le soin de se connectée à l’écosystème de la ville en travaillant par exemple avec des personnes âgées ou des exclus.

 

Est-il possible d’appliquer les mêmes principes dans une start-up que dans un grand groupe ?

Il ne faut pas chercher à comparer ou à faire des jugements de valeur sur les start-up et les grands groupes. Les deux modèles doivent s’inspirer mutuellement. Les start-up doivent observer les dirigeants des grands groupes pour leur maturité managériale, notamment pour gérer les phases de croissance. De leur côté, les dirigeants des grandes entreprises s’intéressent eux aux dirigeants des start-up, fascinés par leur audace et leur dynamisme dans le processus d’innovation.

 

Quel est votre principal conseil aux dirigeants français ?

Les dirigeants français doivent sortir de leurs habitudes et chercher à faire des rencontres improbables ! Pour cela, j’identifie 4 priorités de rencontres :

  •  les jeunes, pour renouveler sa vision en permanence
  •  les artistes et les créatifs car ils sont des sismographes de notre époque
  •  les intellectuels et les gens qui se posent les bonnes questions, pour cultiver son discernement
  •  les résilients pour découvrir les histoires des personnes qui s’en sortent, malgré les épreuves.

 

Retrouvez l’article paru dans Let’s go France :

https://letsgofrance.fr/et-demain/points-de-vue/philippe-le-roux-les-dirigeants-francais-doivent-chercher-a-faire-des