L’entreprise face aux deux jeunesses

Par Denis Terrien, Président d’Entreprise et Progrès et de Stephen Leguillon, fondateur de La Belle Assiette

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L’entreprise face aux deux jeunesses

Par Denis Terrien et Stéphane Leguillon

 

Oui, le marché français du travail protège les « insérés » en CDI. Oui, les jeunes sont 700.000 à entrer chaque année sur le marché du travail, et 86 % des embauches se font en CDD, qui est souvent un marchepied, parfois un piège. Oui, l’OCDE a montré qu’à l’issue de la séquence maximale de CDD autorisée, un jeune n’a qu’une chance sur trois d’obtenir un CDI. Les jeunes sont déjà descendus en nombre dans la rue pour protester contre le projet de loi travail de Myriam El Khomri. Ils promettent de le refaire si le texte n’est pas retiré. C’est leur droit s’ils voient dans cette réforme une menace contre leur insertion professionnelle. C’est leur droit, même si le projet de loi ne les concerne pas explicitement, même si Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, par ailleurs très critique sur le texte, affirme qu’il ne contient aucune mesure anti-jeunes. C’est leur droit, même si avec des règles du licenciement économique plus lisibles, nous, les dirigeants d’entreprise, nous serons plus enclins à leur proposer un CDI pour leur premier emploi.

Mais « les jeunes  » sont une généralité trompeuse. Au seuil de nos entreprises, il y a deux jeunesses. Les diplômés du supérieur connaissent un chômage très faible et forment ces générations « Y » et « Z  » qui vont changer nos organisations par leurs talents, leurs usages et leurs exigences nouveaux. Certains d’entre eux sont même en train de créer les entreprises de demain. Les non-qualifiés, en revanche, piétinent dans de petits jobs instables et leur sort est souvent scellé très tôt dans leur scolarité. C’est la qualification qui décide de tout. Des forces puissantes, notamment technologiques et numériques, sont à l’oeuvre, qui risquent de polariser la population active en dressant les détenteurs d’emplois salariés à haute valeur ajoutée, sur lesquels nos entreprises investissent pour les fidéliser, contre une main-d’oeuvre de plus en plus interchangeable et automatisable.

Le danger, c’est le « précariat juvénile » à vie et la dislocation sociale. Nous en sommes bien conscients. Réclamons plus de liberté et de fluidité pour nos entreprises, c’est notre droit fondamental. En échange, prenons toute la mesure de notre responsabilité. Plus la flexibilité nous libère, plus nous devons partager la valeur créée avec les membres les plus fragiles de nos organisations. Si les CDI deviennent effectivement moins contraignants, signons plus de CDI.

La France ne forme pas assez de salariés qualifiés ? Les dirigeants d’entreprise ne peuvent pas s’en laver les mains. Sur la qualité de la formation, allons au-delà de ce qu’impose le Code du travail. Au lieu de les saupoudrer comme une récompense supplémentaire aux cadres les plus diplômés, concentrons massivement les ressources de formation à notre disposition sur les derniers entrants dans l’entreprise, surtout ceux qui sont en CDD. Formons mieux ceux que nous sécurisons moins. Transformons leur employabilité en priorité stratégique. Dans ces temps de mutation profonde, l’entreprise devient un pilier de la sécurité collective et – osons l’expression – un bien commun.

En savoir plus sur https://www.lesechos.fr/29/03/2016/LesEchos/22159-037-ECH_l-entreprise-face-aux-deux-jeunesses.htm#OsgG7kZMOyboFLcw.99