Entreprise : La stratégie, c’est fini ?
Par Denis Terrien (Président d’Entreprise et Progrès), Gilles Lévêque (administrateur du Cigref)
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Entreprise : la stratégie, c’est fini ?
Par Denis Terrien (Président d’Entreprise et Progrès), Gilles Lévêque (administrateur du Cigref)
2 novembre 2018
LE CERCLE/POINT DE VUE – Un objectif structurant de long terme, Graal dans l’ancien monde, est devenu un handicap à l’ère du numérique.
Pendant des décennies, à l’abri d’une croissance linéaire, les entreprises ont construit leur « stratégie », suite d’actions à accomplir pour atteindre un but en s’appuyant sur les ressources disponibles. Leur mode opératoire, leur culture d’investissement et leur modèle économique se calquaient sur ce rythme régulier.
Dans un cadre aussi stable, la stratégie décortique le passé et extrapole sur le long terme en planifiant les étapes. La stratégie simplifie les processus de décision, elle rassure. On sait, on croit savoir, que le futur s’inscrira dans la continuité du passé. Voilà pourquoi, au cours des Trente-Glorieuses, la stratégie est devenue le « buzz word » du management scientifique, les MBA ont proliféré et le conseil en stratégie a ancré durablement son influence au plus haut niveau des organisations.
Ruptures technologiques
Mais le monde a changé, de dynamique et de rythme. Il se globalise à vive allure, les technologies numériques révolutionnent toutes les activités de l’entreprise. Les disruptions se multiplient, leur rythme d’apparition et de disparition s’accélère. L’entreprise moderne ne cherche plus à être un bateau avançant et résistant coûte que coûte dans la tempête. Elle cherche à fusionner avec l’océan, comme une couche d’huile en surface, pour s’adapter à l’agitation et profiter des mutations de façon beaucoup plus naturelle.
Les entreprises les plus récentes opèrent avec de nouveaux outils qui leur permettent de croître à une vitesse folle, exponentielle. L’élimination des intermédiaires, la personnalisation des services, la communication globale instantanée, la maîtrise des données en temps réel, la digitalisation et l’automatisation de nombreux processus, tout cela a rendu ces nouvelles venues capables d’avoir tout de suite un impact mondial. À l’écoute numérique de leurs clients et de leurs données, elles affinent produits et services en continu.
Le numérique fournit à l’entreprise des instruments efficaces et précis pour piloter l’organisation. Elle peut désormais déployer des plates-formes de services ou d’objets connectés puis capter et analyser les données en masse recueillies par ces plates-formes grâce au Big Data et aux outils d’intelligence artificielle. L’entreprise moderne pourra être infiniment plus à l’écoute de ses parties prenantes. Des clients bien sûr, mais aussi des collaborateurs, des fournisseurs et des concurrents. Comprendre en temps réel, voire anticiper, les besoins de ses clients, c’est aussi ajuster en permanence la trajectoire de l’entreprise.
Entreprise organique
La nature de l’entreprise se modifie profondément. Autrefois mécanique, elle devient plus organique et biologique, afin de faire pivoter rapidement ses produits et ses modes opératoires dans un contexte beaucoup plus volatil.
Pour conduire cette entreprise recentrée sur sa raison d’être et sa trajectoire, il faudra un dirigeant d’un genre nouveau.
Un objectif structurant de long terme, Graal dans l’ancien modèle, est devenu un handicap dans le nouveau. Le but devient flou. Il cesse d’être un cap et peut devenir un piège. Parce qu’elle manque à la fois de souplesse et de souffle, la « stratégie du but » est en échec. L’entreprise a besoin d’un nouveau paradigme, articulé autour de sa raison d’être. Ce qu’on vise n’est plus un but, c’est la trajectoire.
Pour conduire cette entreprise recentrée sur sa raison d’être et sa trajectoire, il faudra un dirigeant d’un genre nouveau. Il devra être capable de sélectionner, parmi de nombreux chemins possibles, la trajectoire optimale compatible avec la raison d’être de l’entreprise et les réalités économiques du moment. Il devra aussi préserver dans l’entreprise la souplesse nécessaire à l’accueil et au traitement de la disruption au moment où elle émerge. Le stratège de long terme devra se muer en visionnaire de l’instantané.
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