Le capitalisme, autrement

Cette tribune signée par Marion Darrieutort et Antoine Lemarchand, co-présidents d’Entreprise et Progrès, et André Coupet, associé principal de Paris Montréal Conseil et membre d’Entreprise et Progrès, a été publiée précédemment sur Economie Matin le 19/03/21.

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Cette tribune signée par Marion Darrieutort et Antoine Lemarchand, co-présidents d’Entreprise et Progrès, et André Coupet, associé principal de Paris Montréal Conseil et membre d’Entreprise et Progrès, a été publiée précédemment sur Economie Matin le 19/03/21.

L’actualité économique française est marquée par des paradoxes à remettre en perspective quand on est partisan d’un capitalisme humaniste, responsable.

D’un côté, la pandémie crée une césure entre des entreprises qui vont faire faillite ou se retrouver confrontées à un niveau d’endettement très lourd et des entreprises gagnantes, celles du e-commerce, de l’agroalimentaire ou de la santé.

D’un autre côté, les formes d’organisation de la production de biens et services sont marquées du sceau de l’innovation en direction du bien commun mais aussi par la réaffirmation du capitalisme pur et dur.

De fait, la Communauté des Entreprises à Mission nous apprend qu’une centaine d’entreprises ont déjà adopté ce nouveau statut issu de la loi Pacte. Par ailleurs, les entreprises certifiées B-Corp ou Lucie se multiplient, créant une vague positive qui s’ajoute au militantisme d’associations de dirigeants telles qu’Entreprise et Progrès, Impact France, Entrepreneurs d’Avenir etc.

La Finance… encore et toujours

En même temps, le capitalisme traditionnel se manifeste sans peur et sans reproche, comme à l’ancienne :

La spéculation boursière est saluée chaque soir par l’annonce d’un nouveau record du bitcoin. Les dividendes versés au titre de 2020 par les multinationales sont équivalents si non supérieurs à ceux de 2019 même quand les résultats sont mauvais : Total versera 6 milliards d’euros. Sanofi distribuera 4 milliards à ses actionnaires alors qu’il annonce des licenciements et vient d’échouer à produire un vaccin à temps… L’OPA hostile de Veolia contre Suez offre un spectacle lamentable qu’on n’avait pas vu depuis 10 ans. Danone, certifiée B-Corp, devenue entreprise à mission en 2020, se voit rappelée à l’ordre par les marchés financiers et quelques actionnaires activistes parce que sa marge opérationnelle a légèrement baissé, à 13%, alors que les concurrents ont des marges de 2 à 3 points supérieures. Dans la presse économique, on ne souligne pas assez que le Chiffre d’affaires de Danone a souffert des fermetures d’hôtels et restaurants où il vend habituellement ses eaux minérales (Evian, Volvic, Badoit…). Danone peut – et il l’a fait – démontrer que les externalités positives de son modèle d’affaires, généreux notamment avec ses fournisseurs du monde agricole, lui permettraient d’afficher quelques points de marge supplémentaire si la comptabilité n’était pas collée au seul capital financier alors qu’elle devrait s’intéresser au capital humain et au capital naturel.

Le capitalisme compris comme une économie de marché favorisant la libre entreprise ne peut pas poursuivre impunément sa dérive strictement financière. Les taux de rendement sur les fonds propres exigés à Wall Street sont encore et toujours de 12 à 15% alors que les taux d’intérêt sont voisins de 0% et l’accroissement du pouvoir d’achat réduit à 1%. Avec un tel écart, on va dans le mur, sans parler du problème climatique.

David contre Goliath

Le déséquilibre des forces en présence nous amène, en toute lucidité, à nous interroger sur l’impact et la viabilité du modèle de l’entreprise comme bien commun.

Le remède réside dans l’union des forces de progrès. Les associations et mouvements cités ci-dessus feraient bien de se fédérer, de se donner une signature commune autour du thème « l’utilité avant le profit », puis d’avancer sur 3 axes :Se donner ensemble un corpus intellectuel commun, qui éviterait le flou artistique autour de notions telles que la raison d’être, pour au contraire adopter un modèle cohérent donnant du corps au concept de « capitalisme des parties prenantes ». C’est ce à quoi nous avons contribué en définissant clairement, dans un ouvrage* récemment paru, les 5 grandes composantes de l’entreprise « progressiste » : de la Raison d’être, qui doit être axée sur l’utilité à l’égard de la Société, à la performance globale, en passant par les valeurs forcément humanistes de l’organisation, la stratégie, nécessairement intégrée, et la gouvernance qui doit progressivement s’ouvrir aux parties prenantes.

2  Se joindre aux efforts du Secrétariat d’Etat à l’Economie Sociale, Solidaire et Responsable pour faire avancer des dossiers tels que celui de la performance extra-financière ou celui de la certification, en France et en Europe.

3  Proposer des mesures de soutien à ce capitalisme alternatif et lancer des propositions de changement structurel quant au fonctionnement du capitalisme traditionnel pour éliminer ou corriger …des réalités telles que paradis fiscaux, OPA sauvages, rachats d’actions, stock-options… Ces propositions devraient sans aucun doute être adressées au niveau européen ; elles nécessitent que les deux premiers axes soient des réalités.

L’économie française n’est pas le plus mauvais élève de la classe dans le concert des nations ; grâce à ses avancées, elle peut, avec l’Europe bien sûr, contribuer à l’affirmation d’une troisième voie, entre le capitalisme anglosaxon et le capitalisme étatique de la Chine, celle d’un modèle fait d’entreprises rentables, raisonnables, humanistes et durables.