L’innovation au service de la relocalisation : l’exemple de Sericyne qui relance la filière de la soie en France

Depuis le début des années 2000, les entreprises ont pris l’habitude de produire ou d’importer des matières premières de l’autre bout du monde afin de réduire leurs coûts. La crise de la Covid19 a eu le mérite de mettre en lumière les limites de cette hyper mondialisation et de la segmentation de la chaîne de […]

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Depuis le début des années 2000, les entreprises ont pris l’habitude de produire ou d’importer des matières premières de l’autre bout du monde afin de réduire leurs coûts. La crise de la Covid19 a eu le mérite de mettre en lumière les limites de cette hyper mondialisation et de la segmentation de la chaîne de valeurs. La fermeture massive des frontières causée par la crise sanitaire a mis de nombreuses entreprises dans l’embarras : problèmes d’approvisionnement en matières premières, production au ralenti, nouveaux enjeux de souveraineté… Le concept de relocalisation, déjà émergent ces dernières années, prend de plus en plus d’ampleur. 

Produire en France, produire à partir de matériaux français… L’idée fait rêver. Cependant, la démarche de relocalisation fait face à de nombreux défis et repose notamment sur un volet innovation. Mais pas n’importe quelle innovation : une innovation au service de l’intérêt général, du bien commun et des enjeux de transition écologique. 

Et c’est justement l’origine de l’existence de Sericyne, entreprise dédiée à l’innovation dans le secteur de la soie. Installée dans le Gard, elle souhaite réinventer la filière soie 100 % française au profit d’usages innovants et durables. Zoom sur cette innovation responsable au service de la relocalisation de la filière soie avec Isabelle Lescanne Sauguet, associée de Sericyne et membre d’Entreprise et Progrès. 

D’après vous, quels sont les défis à relever pour relocaliser une filière ? 

I.L : La relocalisation d’une filière ne constitue pas une tâche aisée pour une entreprise malgré ses avantages apparents : diminution de l’empreinte carbone ou économies des coûts de transport. Pour commencer, il faut bien garder en tête que toute industrie n’est pas forcément relocalisable, pour des raisons géographiques, technologiques ou encore économiques. 

Pour les filières qui sont relocalisables, il existe à mon sens trois défis majeurs à relever. Tout d’abord, on ne relocalise pas de la même manière que l’on a quitté un territoire. La réimplantation doit reposer sur l’apport d’une plus-value, d’une valeur ajoutée conséquente, sans quoi l’entreprise ne saurait être compétitive. Et l’innovation, en jouant un rôle indispensable, constitue le premier défi notable.

Le deuxième défi repose sur l’écosystème dans lequel l’entreprise va tenter de se réimplanter. La relocalisation d’une entreprise, de sa production, implique de réactiver des savoir-faire, de réactiver un ensemble de relations, de recréer des liens, des partenariats, dans la mesure où les logiques d’acteurs ne sont plus les mêmes, elles se sont déplacées. 

Enfin, dernier défi et pas des moindres puisqu’il constitue une conséquence des deux premiers défis abordés : la confiance. La mise en place d’un projet novateur implique un changement dans les comportements et attentes des acteurs du territoire et parties prenantes de l’entreprise. Il est à ce titre nécessaire de générer une forte solidarité nationale, de prouver l’utilité d’une prise de risque, de prouver ses capacités, de réinjecter de la confiance dans le savoir-faire français. Bref, de changer le regard sur les nouvelles options mises à disposition grâce à cette innovation. 

Sericyne, pour relancer la filière de la soie en France, s’est par exemple appuyée sur une innovation. Elle a conçu un procédé breveté qui permet de produire une nouvelle qualité de soie : la soie additive, qui rend possible des usages innovants dans les domaines du design, de l’horlogerie, de la beauté ou encore en alter-cuir. Mais pour se développer, il a notamment fallu changer les regards sur l’image d’une telle activité puisqu’on l’assimile rapidement à de l’artisanat. Pourtant, on parle d’une production semi-industrielle permettant de fabriquer rapidement de grands volumes. Un vrai défi donc. 

Quelle est la place de l’innovation dans la relocalisation ? 

I.L : La crise sanitaire nous a positionnés certes face à la nécessité de relocaliser certaines filières en France mais également de plus en plus face aux réalités du changement climatique. L’urgence est là. L’innovation a donc un rôle à jouer à la fois dans la démarche de relocalisation, pour engendrer de la compétitivité notamment, mais également dans le développement de solutions vertueuses. 

Donc innover pour mieux relocaliser, oui, mais pas n’importe comment : il faut innover en apportant des propositions qui aboutissent à des modèles de croissance permettant de vivre en harmonie avec la nature au sens large. Nous ne reviendrons pas sur le modèle de confort que nous connaissons actuellement, il est nécessaire de proposer des solutions vertueuses n’impliquant pas de changements drastiques dans les habitudes. Continuer à faire du beau, du confortable, mais sans détruire. C’est là que l’innovation a un rôle à jouer, en se plaçant au service du bien commun.

Et c’est ce que propose Sericyne. En fournissant une matière innovante, elle offre la possibilité de se positionner sur des matières plus durables et respectueuses afin de permettre aux entreprises clientes et consommateurs de mener en partie leur transition écologique. 

Mais alors, comment faire accepter ces innovations durables ? 

I.L : Faire accepter l’innovation constitue évidemment un défi supplémentaire dans une démarche de relocalisation. Le fait qu’elle soit durable et responsable peut constituer un atout dans la mesure où on perçoit une évolution dans la prise de conscience de l’urgence climatique. Le virage est entamé mais l’on rencontre malgré tout encore un décalage entre les aspirations et les actes en fonction des milieux. 

Pour faire accepter l’innovation durable, il est nécessaire de changer le regard sur les solutions offertes, de changer les perceptions de la beauté, de faire évoluer les imaginaires. En bref, rendre ce qui est durable désirable. Et cela nécessite beaucoup de pédagogie.

Dans quelle dynamique doit s’inscrire une innovation au service du bien commun ? 

I.L : L’innovation est, certes, moteur de croissance, mais doit également se mettre au service de la survie des systèmes, de la protection des ressources et de nos modes de vie. Le développement d’une innovation au service du bien commun doit ainsi, par essence, s’appuyer sur un impact global positif. Il doit infuser l’ensemble du business model de l’entreprise. 

Et Sericyne fonctionne à ce titre sur un modèle d’entreprise à impact, alliant responsabilité et rentabilité, dans la mesure où elle s’appuie notamment sur une industrie respectueuse de l’environnement. Plus encore, sa production dépend entièrement de l’équilibre des écosystèmes environnants, entre vers à soie et mûriers notamment. Sa pérennité repose à ce titre directement sur son impact. 

Mais toute démarche de relocalisation implique une dynamique globale de filière. Face aux nombreux défis, il est important de se regrouper et de travailler ensemble, de co-construire les solutions, entre entreprises et parties prenantes. C’est seulement dans cette dynamique que nous pourrons réellement avancer, et c’est notamment ce que permettent les réseaux d’entreprises comme Entreprise et Progrès : échanger avec des personnalités engagées pour évoluer ensemble vers le modèle contributif.