Quand « les entreprises ne savent plus prédire le risque »
Une tribune précédemment publiée dans Le Monde par Philippe Le Roux, président de la société de conseil Key People ; Benoît Clocheret, président de la société d’ingénierie Artelia ; Cécile Béliot, directrice générale adjointe du groupe agroalimentaire Bel et Bruno Thévenin, associé de la société de conseil Orisis.
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Une tribune précédemment publiée dans Le Monde par Philippe Le Roux, président de la société de conseil Key People ; Benoît Clocheret, président de la société d’ingénierie Artelia ; Cécile Béliot, directrice générale adjointe du groupe agroalimentaire Bel et Bruno Thévenin, associé de la société de conseil Orisis.
Dans ce nouveau contexte de pandémie de Covid-19, acceptons de renoncer à savoir ce qui va se produire. Organisons plutôt la résilience, cette capacité non pas à cerner les risques à l’avance mais à réagir vite et bien, affirment quatre dirigeants d’entreprises du think tank Entreprise et progrès dans une tribune au « Monde ».
Tribune. La pandémie nous a appris quelque chose : en dépit des sommes colossales que nos entreprises consacrent à vouloir le maîtriser, elles ne savent plus prédire le risque. Elles échouent à réconcilier la rigidité des méthodes de gestion du risque et l’agilité indispensable pour être en capacité d’absorber les chocs imprévus. La planification traditionnelle, linéaire, ne fonctionne plus. Alors, posons la question : dans un monde marqué par la fréquence, l’imprévisibilité et la force des chocs extérieurs, doit-on encore prévoir le risque ?
Dans le nouveau contexte, acceptons de renoncer à « savoir » ce qui va se produire. Organisons plutôt la résilience, cette capacité non pas à cerner les risques à l’avance mais à réagir vite et bien, cette nouvelle qualité qui nous permettra d’adopter des comportements adaptés à un environnement changeant.
Nos entreprises doivent nécessairement installer un corpus minimum de procédures centralisées et homogènes, mais doivent tout autant imposer l’autonomie de décision nourrie de l’intelligence des situations. Cette double piste est la clé du succès, voire de la survie, de nos entreprises.
L’impensable et pas seulement l’inattendu
Elles devront inventer une nouvelle diversité, authentiquement opérationnelle, pour faire émerger des talents internes d’un nouveau genre, capables de poser des diagnostics et d’apporter des réponses complexes. Les femmes et les hommes de l’entreprise réclameront et devront se voir octroyer un droit renforcé à l’initiative. C’est vital. Car oui, pour se protéger du risque, l’entreprise doit encourager la prise de risque.
Il existe des spécialistes. Ce sont les militaires. Eux savent que planification stratégique et discipline stricte sont les préalables indispensables à une prise de décision rapide, autonome, pertinente
Comment faire ? Avec quels outils ? Pour remplacer la prévision traditionnelle, probabiliste, du risque, nous avons besoin de collaborations innovantes pour explorer les différents mondes dans lesquels nous risquons de nous retrouver. Il est temps de prendre nos distances avec les calculs statistiques de fréquence et de gravité pour redécouvrir la puissance du « scénario planning », et commencer à prendre conscience des options stratégiques dont on ignore absolument tout aujourd’hui. Les scénarios doivent décrire des mondes différents et pas seulement des résultats différents dans le même monde. L’impensable, et pas seulement l’inattendu.
Grâce à un leadership renouvelé, l’entreprise doit être capable de penser sa propre discontinuité, sa propre rupture. Formés aux procédures et aux prévisions, bref aux vérités définitives, les cadres dirigeants, dans leur immense majorité, redoutent cet exercice qui remet l’incertitude au cœur de la décision. Confrontés à la possibilité d’un avenir radicalement différent qu’ils ne peuvent au premier abord ni comprendre ni a fortiori contrôler, ils se sentent démunis, remis en cause, affaiblis.
Ils ont tort.
Des leviers de transformation
Les scénarios sont de puissants leviers de transformation culturelle et humaine des organisations. Ils poussent les acteurs concernés à dépasser les blocages ordinaires. Plus nos entreprises sont affectées par l’incertitude et la complexité, plus l’approche par scénarios devient l’antidote à l’inquiétude. Et un défi pour les entreprises trop… organisées. Car l’exercice du scénario doit être pris au sérieux. Rien ne serait pire que d’entrer dans un avenir imprévu avec les réflexes obsolètes et figés du passé.
Comment concilier rigueur de la préparation et souplesse de la réaction ? Il existe des spécialistes. Ce sont les militaires, et ils ont beaucoup à nous apprendre. Eux savent que planification stratégique et discipline stricte sont les préalables indispensables à une prise de décision rapide, autonome, pertinente sur le terrain, que les réflexes acquis permettent au cerveau d’être disponible pour s’adapter et improviser, bref, que la préparation libère l’action.
Evidemment, la comparaison a ses limites. La préparation à la crise constitue le cœur d’activité des militaires, alors qu’elle est seulement une des nombreuses missions du chef d’entreprise. Mais dans l’ère qui s’ouvre, celui-ci va peut-être devoir réviser ses priorités.
Liste des signataires : Philippe Le Roux, président de la société de conseil Key People ; Benoît Clocheret, président de la société d’ingénierie Artelia ; Cécile Béliot, directrice générale adjointe du groupe agroalimentaire Bel et Bruno Thévenin, associé de la société de conseil Orisis. Tous les quatre sont membres du groupe de réflexion Entreprise et progrès.
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