L’entreprise face aux turbulences géopolitiques

Longtemps, les entreprises se sont abritées derrière leur neutralité d’acteur économique, le cadre juridique et les bornes de la légalité pour opérer partout. Aujourd’hui, la société réclame qu’elles prennent leurs responsabilités. Dans un monde qui n’a jamais été autant interconnecté et en même temps aussi éclaté, les entreprises sont dans une situation parfois délicate. De nouveaux […]

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Longtemps, les entreprises se sont abritées derrière leur neutralité d’acteur économique, le cadre juridique et les bornes de la légalité pour opérer partout. Aujourd’hui, la société réclame qu’elles prennent leurs responsabilités. Dans un monde qui n’a jamais été autant interconnecté et en même temps aussi éclaté, les entreprises sont dans une situation parfois délicate. De nouveaux dilemmes géopolitiques émergent. 

Pour le dernier atelier organisé dans le cadre de nos réflexions autour de l’entreprise face aux nouveaux défis démocratiques, Entreprise et Progrès a reçu Pierre-André de Chalendar, PDG de Saint Gobain, et Sylvie Matelly, Directrice adjointe de l’IRIS. Retrouvez le résumé des échanges dans cet article.

Un contexte géopolitique en forte mutation

À partir des années 1970-1980, la politique s’est désintéressée du monde de l’entreprise, laissant les entreprises se développer, tant que cela était bénéfique pour l’économie du pays. Cependant, « cette indépendance ne signifie pas pour autant que l’entreprise dispose de tous les pouvoirs, car dans tous les cas, entre l’économie et la politique, c’est toujours la politique qui gagne », selon Pierre-André de Chalendar. L’entreprise représente plutôt son bras armé. 

À la chute du mur de Berlin, ce désintéressement des États s’est amplifié et s’est élargi avec l’ouverture des frontières. Cet événement représente un point de départ de l’ouverture encore plus importante de la mondialisation, du développement d’un monde hyperconnecté, de la notion d’État-nation. 

Mais le contexte géopolitique a beaucoup évolué récemment. « La crise sanitaire a montré les limites de cette interdépendance », affirme Pierre-André de Chalendar. Elle a donné aux États le sentiment qu’il était nécessaire de repositionner une forme de souveraineté, de reprendre une certaine emprise sur l’entreprise. La mondialisation prend ainsi une autre dimension. Le fantasme d’un monde plat n’est plus d’actualité.

Ensuite, le conflit en Ukraine a poussé les entreprises à rapidement se positionner sur le retrait ou non de leurs activités en Russie. On remarque par ce biais que l’entreprise ne s’est jamais vraiment extraite des contextes géopolitiques.

« On sort progressivement d’une mondialisation tournée vers le gain des consommateurs et de leur pouvoir d’achat, où l’enjeu était de proposer autant de produits que possible, au meilleur prix possible », pour Sylvie Matelly. Aujourd’hui le consommateur ne peut plus être le seul bénéficiaire de ce système, au dépend de l’environnement, des impacts sociaux, et bénéficiant à des régimes non démocratiques. 

Au niveau géopolitique, il ne s’agit pas d’une démondialisation, mais de la fragmentation du monde en plusieurs blocs. 

Comment se positionner sur l’échiquier géopolitique en tant qu’entreprise ? 

De nouveaux dilemmes géopolitiques émergent et impactent directement l’entreprise. Mais comment doit-elle les prendre en compte ?

« Bien sûr que les entreprises ont des responsabilités liées aux conditions de travail, au climat, mais ce n’est pas de leur ressort de peser sur les politiques locales », explique Pierre-André de Chalendar. Pour l’entreprise, il s’agit selon lui de plutôt anticiper et de corriger, de diversifier les investissements. Il faut éviter les pays dont les valeurs ne sont pas en accord avec celles que l’entreprise s’est données. À l’inverse, la directrice adjointe de l’IRIS se positionne pour une transformation des risques géopolitiques en opportunités. Pour Sylvie Matelly, c’est en cartographiant les risques, autant économiques que réputationnels, que l’entreprise abordera une approche plus géopolitique de sa stratégie. Il est également à noter qu’il faut prévoir dans cette cartographie l’anticipation des injonctions contradictoires, voire les sanctions, liées à une présence simultanée dans plusieurs pays. C’est par exemple le cas pour les entreprises basées à la fois aux États-Unis et en Chine. 

« De par leur position géographique, de par leur histoire, de par leur représentation de l’intégration européenne, les entreprises ont intérêt à penser une géopolitique des valeurs dans un monde plus global ». Pour Sylvie Matelly, cette géopolitique des valeurs, intégrée dans la gouvernance et la stratégie de l’entreprise, lui permettra de se positionner par rapport à ses intérêts économiques et extra économiques dans le monde.

Face à un contexte géopolitique en forte mutation, les entreprises ne doivent plus seulement prendre en compte les conséquences économiques de leurs choix mais également les conséquences réputationnelles liées aux nouvelles attentes de la société civile. Se positionner sur l’échiquier géopolitique implique de ne pas rester neutre, de s’ouvrir, de porter et d’assumer des valeurs, de les faire vivre dans chacune des décisions de l’entreprise.