Le cas Danone, notre défi !
Cette tribune signée par André Coupet, associé principal de Paris Montréal Conseil et membre d’Entreprise et Progrès, a été publiée précédemment sur La Croix le 17/03/21.
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Cette tribune signée par André Coupet, associé principal de Paris Montréal Conseil et membre d’Entreprise et Progrès, a été publiée précédemment sur La Croix le 17/03/21.
Depuis quelques mois, la presse économique française relate les péripéties du match opposant les actionnaires « activistes » de Danone et son PDG. Le match vient de se terminer et Emmanuel Faber vient d’être démis purement et simplement de ses fonctions.
Il est facile de tirer à vue sur le pianiste de Danone sans analyser les tenants et les aboutissants d’une situation complexe, paradoxale et surtout inquiétante pour les partisans d’un capitalisme humaniste, responsable ; car, ce faisant, on joue le jeu de ceux pour qui la finance a toujours raison et de ceux qui refusent de croire que l’économie du sens (la « Purpose Economy »), avec la raison d’être comme fer de lance, peut réformer structurellement le modèle dans lequel nous vivons.
Recadrons un peu !
Comme toujours les fonds activistes sont entrés au capital de Danone très récemment alors que le cours de l’action était à la baisse. Ils ont ensuite accru leur participation à 3 ou 4 % et ont lancé, comme à l’accoutumé, leurs arguments pour détruire la crédibilité du président en place, en espérant installer une direction préoccupée surtout par le cours de bourse, ce qui leur permettra de se retirer en empochant une indécente différence.
Alors que l’entreprise réalise une performance économique honorable, avec des profits supérieurs à 2 milliards d’euros pour un chiffre d’affaires de 24 milliards, il est vrai que les principaux concurrents, notamment Nestlé et Unilever, ont une marge opérationnelle de 16 à 17 %, soit 3 points de plus que Danone. Dans la presse économique, on n’a pas suffisamment souligné que le chiffre d’affaires de Danone avait souffert, bien plus que ses concurrents, de la pandémie et des fermetures d‘hôtels et des restaurants où elle vend habituellement ses eaux minérales (Evian, Volvic, Badoit…). Danone peut – et elle l’a fait – démontrer que les externalités positives de son modèle d’affaires, généreux notamment avec ses fournisseurs, agriculteurs, laiteries…lui permettraient d’afficher une marge supérieure de quelques points si la comptabilité des entreprises n’était pas uniquement centrée sur le capital financier des entreprises alors qu’elle devrait inclure la protection du capital humain et celle du capital naturel.
Le PDG de Danone a bien essayé de contrecarrer la chute du cours de bourse et les menaces des activistes en réduisant la voilure par le biais d’une restructuration organisationnelle, mais l’espoir de voir le titre remonter à très court terme a été plus fort.
Le règne de la Finance
Plutôt que de se concentrer sur les torts ou les raisons des décisions prises ou non par Danone, les analystes auraient eu avantage à observer que l’on assiste à deux phénomènes :
- La loi du 12 contre 1 continue : Les marchés financiers exigent encore et toujours 12%, si ce n’est pas 14 ou 15, de rendement sur les fonds propres ; et ceci alors que les taux d’intérêt sont voisins de 0% et que la hausse du pouvoir d’achat n’est guère supérieure à 1% ; ce qui a fait dire à Patrick ARTHUS, récemment, dans Le Monde, qu’avec un tel écart on allait dans le mur; et ceci sans parler du problème climatique !
- On assiste à l’élimination non pas d’une entreprise, qui saura rebondir, mais celle du héraut d’un nouveau capitalisme, en la personne d’Emmanuel Faber ; cet homme est un leader humaniste capable de porter cette double vision, économique et sociétale, qui est le crédo des entreprises certifiées B-Corp ou Lucie, des entreprises à mission, de toutes ces entreprises qui se donnent une raison d’être centrée sur l’utilité à l’égard de la société, toutes ces entreprises « progressistes », qui se mettent en mouvement en faveur du progrès de l’homme.
Emmanuel Faber s’inscrit d’ailleurs dans la continuité du fondateur de Danone, Antoine Riboud, qui avait, dès 1972, assuré que son entreprise aurait cette double mission économique et sociétale, au sens de sociale et respectueuse des limites de la nature.
Organisons-nous pour le combat
Les entreprises qui se positionnent au carrefour de l’économie et de l’humanisme sont encore très peu nombreuses : on se félicite bien sûr du fait que la communauté des entreprises à mission compte déjà une centaine de membres, venant s’ajouter aux quelques centaines d’entreprises certifiées B-Corp, Lucie ou AFNOR… mais il y a près de 3 millions d’entreprises en France ! Alors, le combat ne peut se gagner que si ces avant-gardistes regroupent leurs forces dans une sorte de fédération afin de mieux promouvoir la justesse et la faisabilité de leur modèle, puis , qu’ensemble ils aillent à Bruxelles proposer des mesures de soutien à ce capitalisme alternatif et des mesures plus contraignantes pour le capitalisme traditionnel ( les paradis fiscaux, les OPA sauvages, le rachats d’actions, les stock-options etc..), car c’est bien au niveau européen que les leviers peuvent exister, pour créer ainsi une troisième voie , entre le capitalisme anglo-saxon et le capitalisme étatique chinois.
La récente histoire de Danone doit nous faire réaliser que les beaux discours remplis d’espérance sur « l’entreprise, après la pandémie » risquent de fondre aussi vite que neige au soleil. Mais on a le droit de croire, avec toute l’intelligence d’un David, que l’on peut vaincre la cupidité de Goliath.
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