Comment redéfinir le progrès ?
Longtemps, l’humanité s’est construite autour de l’idée d’un progrès (notamment économique et technique) qui devait contribuer à améliorer nos conditions de vie, notre santé, notre mobilité, favoriser notre ouverture sur le monde et faciliter sa compréhension. Pourtant, de plus en plus, l’idée de progrès est mise en doute. La 5G, les vaccins, est-ce vraiment un […]
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Longtemps, l’humanité s’est construite autour de l’idée d’un progrès (notamment économique et technique) qui devait contribuer à améliorer nos conditions de vie, notre santé, notre mobilité, favoriser notre ouverture sur le monde et faciliter sa compréhension.
Pourtant, de plus en plus, l’idée de progrès est mise en doute. La 5G, les vaccins, est-ce vraiment un progrès ? Partout, on constate une crise du progrès qui se caractérise par une crise de légitimité et une crise de reconnaissance. La science est déconsidérée et son image prestigieuse s’est essoufflée, provoquant ainsi un déficit de confiance dans le progrès.
Dans le même temps, la crise climatique remet en cause la notion de croissance, elle-même liée au progrès. On lui reproche notamment le manque de prise en compte des indicateurs environnementaux et sociaux. Mais comment redéfinir concrètement le progrès ? Peut-on redonner confiance dans le progrès ? Comment construire un progrès au service du bien commun ? Faut-il sortir du cadre de l’innovation et de la technologie pour envisager cette nouvelle définition ? Peut-on imaginer une co-construction de ce progrès ?
Retour sur ce deuxième atelier du 18 octobre 2021 “Comment redéfinir le progrès ?”, au cours duquel Etienne Klein, physicien et philosophe des sciences, Alexis Krycève, entrepreneur social (HAATCH, Gifts for change), et Michael Trabbia, Chief Technology & Innovation Officer chez Orange, ont apporté leurs éclairages à cette question complexe.
Progrès et innovation : deux notions proches mais distinctes
Si on se penche sur l’histoire et la fréquence d’utilisation du terme “progrès”, on constate sa progressive disparition du vocabulaire public, et son remplacement par le mot “innovation”. Si l’on peut penser que cela résulte d’une modernisation de notre notre façon de voir le progrès, c’est une idée reçue. En effet, le progrès est différent de l’innovation car le facteur de temporalité n’est pas le même. Si l’innovation est contrainte par l’état critique du présent et est une forme de protection, le progrès est lui une construction dans le temps et doit être perçu comme un mouvement global.
C’est d’ailleurs bien ce qu’a compris l’Europe, face à l’intensité et la gravité des défis qui augmentent à mesure que le temps passe. Elle a compris qu’elle pouvait relever ses défis grâce à l’innovation. Or le progrès est un chantier, et non une réponse immédiate. Il ne faut ainsi pas abandonner le mot “progrès” mais le retravailler. Redéfinir ce terme avec les attentes actuelles et sortir des croyances de l’époque des Lumières qui pensait le progrès comme automatique, immédiat et nécessairement positif.
Or il faut garder en tête l’ambiguïté, le double sens du progrès, qui peut être autant une évolution négative qu’une avancée positive. Être réaliste et considérer l’aspect négatif du progrès, mettre en lumière ce qui ne va pas permet justement l’amélioration.
Comment répondre à la perte d’espoir dans le progrès
La défiance face au progrès vient majoritairement d’une perte de confiance en l’avenir, et le progrès technologique ne suffit plus à convaincre. D’abord un défi de confiance (par exemple sur le sujet des données personnelles, de la cybersécurité…), mais aussi d’incompréhension sur ce qu’il y a à gagner. Certains modèles économiques, jouant sur des facteurs comme l’addiction ou la surconsommation, sont critiqués parfois à juste titre. La perte d’illusion vient aussi la prise de conscience de notre impact, de la compréhension que toute technologie, toute innovation, même impliquant des avancées, crée aussi des problèmes potentiels.
Redéfinir le progrès est donc lié à l’universalité. Collectivement il est crucial de savoir où aller, car il est impossible de juger d’une avancée s’il n’y a pas d’horizon vers laquelle tendre. Or tout le monde n’ayant pas la même définition de cet horizon, donner de la compréhension, des explications, et configurer un futur crédible et attractif malgré les défis est un enjeu central.
Tester l’innovation et le progrès, dépasser l’immobilisme lié au risque peut permettre d’adresser ces défis, en repensant le rôle de l’entreprise et sa contribution au progrès scientifique.
“Le degré d’espoir est l’anagramme d’idée de progrès” – Etienne Klein
Quel rôle pour les entreprises dans cette redéfinition ?
Redonner un horizon au sein des entreprises passe notamment par la mesure de ce qui compte vraiment pour favoriser le progrès, et penser aux effets positifs. On peut ainsi considérer l’innovation à impact positif comme un progrès.
La loi Pacte a par exemple modifié considérablement la vision des entreprises, en impliquant qu’une société peut se définir aussi comme une influence positive, et se penser par rapport à l’intérêt général, et ne pas être une simple source de profits financiers.
La tendance à la dé-consommation joue naturellement sur l’évolution des entreprises, celles qui tirent leur épingle du jeu sont celles qui pensent à leur impact et prennent en compte leurs externalités. Se doter d’indicateurs extra financiers, mesurer autre chose que sa seule performance financière, et évaluer ce qui progresse dans l’entreprise est au final un moyen de penser une autre croissance, celle de l’amélioration du bien être humain.
Une fois un horizon clair et des indicateurs liés, on peut alors avancer vers ce qui compte vraiment et identifier les freins au progrès.
« Le progrès mérite plus d’explications. Par exemple sur ce qu’une avancée technique peut apporter, donc d’avoir une vision réaliste du sujet. Elle mérite de poser les impacts positifs et négatifs.” – Alexis Krycève
Universalité et entreprise : un progrès réaliste ?
Mais comment rendre l’horizon des entreprises compréhensible par tout un chacun ?
L’universel de l’entreprise est un projet partagé, il est ainsi crucial qu’au moment où elle exprime son horizon, cela se fasse via des méthodes participatives afin que toutes les parties prenantes choisissent la direction à prendre et les valeurs communes.
Cela passe aussi par la définition d’un territoire d’engagement, qui rencontre les intérêts des affaires et les intérêts pour la société. Mais l’entreprise ne peut plus se passer d’une réflexion sur son horizon.
On peut d’ailleurs imaginer et même souhaiter le soutien à ces nouveaux horizons à travers une démarche active de l’Etat (notamment par des aides fiscales pour les entreprises à mission). Cela afin de rendre les règles du jeu équitables, pour favoriser les sociétés prenant à leur compte les externalités.
“L’attente d’un horizon clair et d’un impact positif de la part des entreprises ne vient pas que des associations, elle provient des clients et même des analystes. C’est une notion de plus en plus scrutée.” – Michael Trabbia
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