Jean-Claude Le Grand, Directeur général des Relations humaines L’Oréal

1. L’Oréal est un membre fondateur d’Entreprise & Progrès. Que représente ce Think tank ? Qu’avez-vous envie de lui apporter ?

Je crois qu’il faut revenir à la genèse de cette aventure et à l’idée de Antoine Riboud et François Dalle, très audacieuse à l’époque – nous sommes en 1972 – du double projet de l’entreprise : « un projet tourné vers l’efficacité économique et financière et un projet humain qui permet aux femmes et aux hommes de grandir et de s’élever ». Cette idée de double performance, renvoie au fond à la capacité de nos entreprises à contribuer au progrès.

Or le progrès humain, et plus globalement aujourd’hui sociétal et environnemental, est un sujet qui transcende les entreprises.  Il s’agit de partager, de réfléchir ensemble, de faire émerger de nouvelles idées pour aller plus loin ; c’est toute l’idée de la co-création si chère à François Dalle, qui a transformé L’Oréal en leader mondial de la beauté, et de la coopétition, cette coopération entre acteurs concurrents dans laquelle je crois profondément. C’est d’ailleurs la philosophie du Cedep, créé dans les années 60 par L’Oréal, Danone et d’autres grandes entreprises, pour former des cadres et futurs dirigeants de pays, de cultures et d’industries divers, leur permettre de se rencontrer, de grandir et de réussir ensemble. Et c’est une idée qui a fait ses preuves puisque le Cedep est toujours extrêmement actif et réputé. Il existe des causes et des projets pour lesquels les entreprises doivent s’unir pour aller au-delà de la concurrence.

Dans un autre domaine – celui de l’innovation sociale- le programme social Share and Care, que L’Oréal a créé en 2013 et qui était alors inédit, notamment par son échelle, a suscité d’innombrables questions de la part de nos pairs et il était évident que nous devions partager.

Je crois enfin qu’Entreprise et Progrès, c’est la force du collectif. Dans un monde où les entreprises ont de plus en plus souvent une longueur d’avance en matière d’innovation sociale, nous pouvons être un porte-voix pour peser sur la force publique, faire bouger les lignes, en se mobilisant ensemble sur des causes qui servent le progrès.

2. Quelle est votre définition du progrès ?

Le progrès est tout simplement ce qui concourt à améliorer le bien-être ; c’est faire mieux, plus, sans léser personne. Par définition le progrès suppose un mouvement perpétuel, il faut donc constamment avancer. Certaines formes de progrès, à une époque, se sont révélées contre-productives par la suite. En 2023, c’est une réalité beaucoup plus globale. Dans un monde totalement interdépendant, parcouru de fractures multiples, le progrès exige l’inclusivité des communautés même lointaines, suppose plus de solidarité et de partage et impose de ne laisser personne sur le bord de la route. Les actions solidaires menées par L’Oréal à chaque catastrophe sanitaire ou de guerre, comme dernièrement en Turquie ou en Ukraine, en sont une illustration.

Et à l’heure où la planète se dérobe sous nos pieds, l’idée de faire mieux avec moins, c’est-à-dire en respectant les limites de notre planète, me semble incarner le progrès. Cela ne signifie pas « dé-consommer » mais consommer autrement, réfléchir à une transformation pour aller vers des entreprises plus régénératrices.

3. Quelles initiatives sont mises en place pour favoriser l’engagement de vos salariés aux enjeux environnementaux ?

D’abord, je crois surtout que nos collaborateurs ne comprendraient pas si nous n’étions pas engagés avec cette force et cette détermination sur les sujets environnementaux et sociaux, tant les défis sont devenus pressants. Il est indispensable qu’une entreprise comme L’Oréal accélère sa transformation à tous les niveaux et elle l’a fait en lançant le programme « L’Oréal for the future » en 2021, qui fixe nos objectifs 2030 en matière de durabilité et d’inclusion et accentue encore les engagements pris en 2013. Nous voulons démontrer notamment qu’il est possible de « découpler » impact et croissance, créer de la richesse et de la prospérité -ce qui constitue un progrès en soi – sans sacrifier les ressources naturelles et notre planète. Ce n’est pas facile mais c’est une volonté forte et nous allons y parvenir.

Alors évidemment nous devons être convaincants et exemplaires pour emmener tout le monde, et un désir partagé ne dispense pas de dispositifs solides et mesurables au plus haut niveau. Par exemple, tous nos dirigeants – y compris les responsables de marques internationales et les patrons de filiale – ont des objectifs extrêmement précis liés à l’avancement du programme. Et croyez-moi, cela mobilise forcément les énergies ! La formation et la pédagogie est un autre levier déterminant et nos 220 experts en développement durable accompagnent les collaborateurs sur ce chemin au quotidien.

4. Comment le sujet de la décarbonation est-il abordé au sein de votre groupe ?

Pour L’Oréal, la décarbonation est un vrai sujet de préoccupation qui s’inscrit dans notre programme L’Oréal for the Future où chacun s’engage sur des actions concrètes et s’implique fortement pour tenir l’objectif de neutralité carbone (scope 1 et 2) en 2025 pour tous nos sites, et de baisse des émissions globales du Groupe de -25 % en 2030 par rapport à 2016.

Notre approche repose sur le triptyque mesurer, identifier, réduire. Premièrement, le Groupe s’attache à mesurer ses émissions de gaz à effets à de serre grâce au GHG (GreenHouse Gas), un protocole international qui fixe un cadre harmonisé pour mesurer, comptabiliser et gérer les émissions de gaz à effet de serre provenant des activités des secteurs privé et public élaboré par le World Business Council for Sustainable Development (WBCSD).

Deuxièmement, nous nous efforçons d’identifier les principales sources d’émission de CO2.

Enfin, une fois les sources connues, nous élaborons des programmes en interne et définissons des objectifs cibles pour baisser nos émissions.

Concrètement, cela se traduit par un travail sur l’écoconception de nos produits en interne et avec tout notre écosystème – nos partenaires en amont comme en aval- pour faire en sorte que le produit soit moins émetteur de CO2. L’amélioration continue de nos process et installations industrielles, la maîtrise des consommations énergétiques de nos sites et la nature des énergies que nous utilisons partout dans le monde sont évidemment des priorités absolues.

5. L’une des thématiques de réflexion d’Entreprise & Progrès cette année porte sur la réconciliation sociale. Est-ce que vous pensez que l’entreprise a un rôle à jouer dans la réconciliation sociale ?

 C’est un sujet fondamental dans lequel l’entreprise peut jouer un rôle déterminant. Une société fragmentée signe l’échec du progrès qui encore une fois, suppose de faire mieux sans léser personne. Le maître mot de la réconciliation sociale c’est l’inclusion, pour laquelle je me bats depuis 30 ans. A l’intérieur de l’entreprise comme à l’extérieur.

Dans l’entreprise d’abord, parce qu’un collectif soudé est la première condition de la performance. Cela signifie être capable de tisser des liens, de créer de l’équité et de l’inclusion à tous les niveaux. Entre les hommes et les femmes par exemple. Et c’est le travail que nous avons mené sans relâche chez L’Oréal depuis 15 ans et qui porte aujourd’hui ses fruits. C’est aussi être capable de donner toute leur place aux collaborateurs seniors et à l’intergénérationnel, et surtout de proposer des parcours professionnels à long-terme. Et une grande satisfaction chez L’Oréal est d’avoir autant de jeunes que de seniors et de garder nos collaborateurs pendant 40 ans ! Évidemment cela ne se fait pas tout seul et requiert l’expertise de nos 2000 professionnels des relations humaines à travers le monde.

Les choses se jouent évidemment aussi à l’extérieur ; une entreprise ne s’arrête pas à ses murs et joue un rôle d’intégrateur social.

Interview réalisée par Ariane Benard